Je n'ai pas trouvé dans l'imaginaire créole de
nos Antilles, des traces évidentes de la question des
brûlures et de leurs préventions. Dans les contes,
titimes et proverbes que j'ai pu consulter, on n'en fait pas
mention. L'originelle brûlure, celle qui aurait pu s'immobiliser
dans notre inconscient collectif est celle de ces marques au
fer chaud que l'on appliquait sur la peau des esclaves pour
signifier leur appartenance. Mais comme pour tout ce qui concerne
les souffrances (mal oubliées) de la traite et de l'esclavage,
on n'en a pas gardé d'attestation consciente. De même,
dans les listes des tortures infligées aux esclaves récalcitrants,
on ne mentionne pas particulièrement de pratiques liées
aux brûlures même si elles ont bien entendu existé.
Elles ne peuvent pas ne pas avoir existé car dans ce
fond de l'horreur pas d'impossible envisageable. En revanche,
de toute éternité, la culture populaire créole
s'est méfiée du feu et des incendies. Incendies
des champs ou des usines, mais aussi et surtout incendies des
cases et des habitations, à cause des réchauds
de toutes sortes, des bougies et des lampes à pétrole.
C'est pourquoi très rapidement les cuisines ont été
placées à l'extérieur. Cette disposition
de l'habiter créole suppose, on s'en doute, un nombre
incalculable de brûlés de toutes sortes et de drames
ancestraux.
Mais si la question de la brûlure a hanté mon enfance,
c'est à cause des lampes Coleman et réchauds à
pétrole. Les exemples d'explosions étaient assez
nombreux et les manman s'en méfiaient tout bonnement.
Dans Antan d'enfance, je décrivais ainsi, le comportement
de ma mère : Man Ninotte qui cuisinait dans l'appartement
sur une lampe à pétrole, pratiquait une précautionneuse
cérémonie pour allumer cette dernière.
Elle commençait par écarter en silence les enfants.
Avec des gestes de sénateur, elle pompait le combustible
de la lampe, puis l'il aiguisé, maniant une minuscule
aiguille, elle débouchait l'ouverture où devait
s'alimenter la flamme. Après un regard circulaire, elle
procédait à la mise à feu. Et c'était
là le mystère. Le temps d'une mi-seconde le monde
restait en suspens à l'abord d'un carrefour où
tout était possible, le désastre encore plus.
Chaque existence s'apprêtait au démarrage en flèche.
Nombreux étaient les cas d'enfants épluchés,
de case disparues sous la râpe d'une flambée, de
lampes explosives à l'instar des chabines. Man Ninotte
de ce fait tenait discours philosophique sur la puissance du
feu
Ces précautions étaient tellement systématiques
et surtout tellement naturelles que nous n'avons jamais eu d'accident,
à part quelque petite brûlure liée à
la projection d'une goutte d'huile chaude sur un petit vorace
guettant le poisson frit ; ou à cause de la rencontre
d'une main gourmande avec une casserole de lait chaud doté
d'une croûte agaçante. Il fallait là-même
passer un peu d'huile (ou je ne sais quelle pommade malodorante)
sur la brûlure pour éviter la cloque.
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